La chanteuse Françoise Hardy est décédée à l’âge de 80 ans. Son fils, Thomas Dutronc, l’a annoncé ce mardi soir sur les réseaux sociaux. Elle se battait contre un cancer depuis plusieurs années.
1er janvier 2023. Le magazine américain Rolling Stones sort une liste. Cette année, c’était le classement des 200 meilleurs chanteurs et chanteuses de tous les temps. La liste a fait polémique. Peu importe. Dedans, il n’y avait qu’un seul artiste francophone. Pas de Piaf, de Barbara, de Johnny, de Brel, ni même de Céline Dion. Mais Françoise Hardy y figurait (à la 162e place).
C’est dire si elle a marqué. De part et d’autre de l’Atlantique. Françoise Hardy, c’était l’élégance, la subtilité mais aussi la mélancolie incarnée. Solaire, timide, amoureuse éperdue mais désespérée, le journal anglais » The Gardian « l’avait surnommé » breathy voice » (voix essoufflée). Françoise Hardy, une cantatrice qui chuchote, comme le mentionnait Libération.
Une enfant isolée et incomprise
Cette impression d’être une sorte de fausse note parmi les autres m’a accompagnée toute ma vie.
Née au cours d’un bombardement sur Paris, en 44, la jeune fille réservée passera la plupart de ses week-ends chez sa grand-mère. Une femme pour le moins désagréable, qui ne lui adressera qu’une fois la parole. Quand elle devint connue, en 1962, elle lui demandera simplement si elle était heureuse.
« Je me trouvais laide et me voyais devenir nonne », confia-t-elle à Paris Match en 2021. Son père l’inscrit à Sciences-Po, sans lui demander son avis. Elle ne se sent pas à la hauteur. « Cette impression d’être une sorte de fausse note parmi les autres m’a accompagnée toute ma vie », ajoute-t-elle. Après son bac, elle demandera simplement une guitare.
Terriblement émotive, la jeune femme se réfugie dans sa chambre. Elle y apprend la musique en autodidacte. Et commence à composer. Les notes emportent son imaginaire, loin des difficultés du quotidien, de l’existence. Elles supportent ses états d’âme, son malaise, ses espoirs aussi. Elle voudrait se réfugier dans la chanson.
Je me trouvais laide et me voyais devenir nonne.
Bientôt, prenant sa réserve et sa peur à deux mains, elle se présentera à des auditions. Cela ne marchera pas du premier coup mais elle s’accroche. Elle veut enregistrer un disque. Elle s’inscrit durant deux ans au petit conservatoire de Mireille, et bientôt, filera, du haut de ses talons aiguilles, à la firme de disques Vogue. Sous le bras, une ritournelle : « Tous les garçons et les filles (de mon âge) ».
Merci, mon Général !
Françoise Hardy n’accordait pas une grande importance aux dates. Mais celle du 25 avril 1962, elle s’en souvenait bien. Elle y finalise l’enregistrement de quatre morceaux. « Du vite fait et bâclé », dira-t-elle plus tard, avec sa modestie qui deviendra légendaire. Qu’à cela ne tienne, cette dernière session s’apprête à bouleverser sa vie. La jeune parisienne est sur un nuage.
Chaque Vogue, on mise sur deux chansons bien précises : « Oh ! Oh ! Chéri » et « Je suis d’accord ». Les paroles de la première, adaptation d’une chanson américaine, ne collent pas vraiment à la personnalité de la chanteuse. La seconde est enjouée, mais elle préfère le vague à l’âme de la face B. Les airs passent cependant déjà dans les transistors et à la télévision, chez Mireille (c’est la version filmée du petit conservatoire). A l’été 62, 2000 exemplaires du disque ont été vendus. Un chiffre « faramineux » pour Hardy. Mais concrètement, c’est bien loin d’être un tsunami…
Le coup de baguette magique viendra le 28 octobre de la même année. Et est dû, sans qu’il en ait conscience, au Général De Gaulle. Le chef d’Etat français a organisé son référendum sur l’élection au suffrage universel du président de la République. Les résultats se font attendre, et pour faire patienter les téléspectateurs, on « meuble » avec des intermèdes musicaux. La frange de Françoise Hardy fait son apparition dans la petite lucarne. Elle entonne « Tous les garçons et les filles ». Titre qu’elle affectionne davantage. Ça va faire mouche.
« Tous les garçons et les filles de mon âge »
Atypique
En janvier 1963, plus un million de vinyles auront été vendus. Quelques mois plus tard, cela aura doublé (!). Propulsée sur le devant de la scène, Françoise Hardy essaye de gérer cela tant qu’elle peut. Elle sort depuis l’été précédent avec une jeune photographe, Jean-Marie Périer. Un jeune homme plein d’énergie qui la fera poser dans la « photo du siècle » du magazine « Salut les copains ! » en 66. La jeune femme l’aime son Jean-Marie. Mais elle est triste. Il est toujours parti et elle se sent délaissée. Bien que très courtisée, elle ne se rend pas compte de son côté « solaire » et est en manque de confiance en elle. Jean-Marie Périer court dans tous les sens. Elle, attend. La jeune femme, elle, est toujours sous la coupe de sa mère. « Encore à quarante ans elle me dictait ma conduite », confiera-t-elle à Libération. Elle quittera cependant le deux-pièces où elle vivait avec Madeleine pour un appartement, toujours à Paris.
Photo « du siècle » de « Salut les Copains » en 1966/ © Jean-Marie Périer
Mélancolie chez les Yéyés
La période est aux Yéyés. Insouciance et naïveté d’une jeunesse sage dans une société corsetée. On y entend siffler le train de Richard Anthony, des tubes de Sheila, des » Belles belles belles « de Claude François… On traduit en français des hits américains et les jeunes artistes les entonnent gaiement en français. En haut de l’affiche, il y a Sylvie et Johnny. Dans ce petit monde de « Salut les copains », Françoise Hardy détonne. Elle traîne sa mélancolie et son look androgyne – beauté détonante à cette époque — sur les plateaux télé. La jeune chanteuse aime les chansons tristes.
Dès que j’arrive quelque part, il pleut.
À contre-courant de l’effervescence d’une jeunesse présoixante-huitarde, elle appelle à l’introspection. Elle parle de son mal-être, de ses amours à sens unique, de sa timidité… Des titres qui touchent directement le cœur de toute une génération.
» Mon amie la Rose « qui parle de la mort et de la maladie (le cancer), « Je ne suis là pour personne », « l’amitié », « l’amour d’un garçon »… Avec sa frange et ses boots blanches, la jeune femme aux cheveux longs et à l’introspection contagieuse devient iconique. « Dès que j’arrive quelque part, il pleut » confiera-t-elle au Nouvel Obs en 97.
« L’amitié »
« Elle était d’une beauté dont elle n’avait aucune idée »
Revenons au début 1963. Sa carrière décolle. Françoise Hardy représentera Monaco au concours Eurovision avec L’amour s’en va. Elle terminera cinquième. Claude Lelouch la filmera bientôt dans des Scopitone – les » ancêtres » des clips vidéo -. Ses chansons traversent les frontières et déferlent en tête des hit-parades européens. Elles sont interprétées en italien, en anglais… Icône dans le domaine de la mode aussi (elle est habillée par André Courrèges ou encore Yves-Saint-Laurent), bientôt c’est le cinéma qui lui tendra les bras. Elle joue dans Masculin Féminin de Jean-Luc Godard (1966) et avec Yves Montand dans la superproduction Grand Prix de John Frankenheimer (1966). En parallèle, tournées, gala et concerts se succèdent. Elles rencontrent les plus grands, notamment dans le domaine de la littérature, qu’elle affectionne : Sagan, Ionesco…
Avec l’argent du succès, elle achètera une maison en Corse, sur les hauteurs de Calvi, en 1967. Monticello, un petit village isolé, où elle devait vivre avec Jean-Marie Périer. Lui, il n’y habitera finalement jamais. « Elle était d’une beauté dont elle n’avait aucune idée », dira Jean-Marie Périer, qui restera toute sa vie un ami, au journal Le Soir.
Françoise et Jacques, l’eau et le feu
L’amour de sa vie, c’est lui. Elle l’aura répété jusqu’à la fin de son existence. « Voilà » parle de cela. Un cri d’amour pour un Dutronc plus volage qu’elle ne le voudrait. Elle le voudrait plus pour elle. Elle part donc, mais l’aime toujours. Et cela durera, sans doute. Déchirante chanson. « La plupart des hommes trompent leur femme, mais ça n’entame pas forcément l’amour qu’elle leur inspire […] Comme beaucoup de femmes – surtout de ma génération — je ne dissocie rien du tout. Je ne peux pas désirer si je n’aime pas », expliquera-t-elle. Dutronc, Dutronc, Dutronc. Hardy l’aura toute sa vie dans un coin de sa tête.
« Une relation qui s’est vite avérée douloureuse, du fait de ma personnalité peu sûre d’elle, anxieuse, trop en demande. Et de son insaisissabilité à lui, de son besoin d’être libre, de s’amuser ailleurs », se souvient-elle dans une interview à Paris Match en 2021. Jacques Dutronc, elle l’a rencontré en 1967, dans sa maison en Corse. Elle en est tombée éperdument éprise. Lui aussi, mais il le montrera d’une autre façon. Ils se mettront bientôt en couple, habiteront ensemble. Mais chacun chez soi, un appartement au-dessus de l’autre. Françoise lui en écrira des chansons. Comme des bouteilles à la mer. « J’ai toujours espéré qu’il entendrait les messages que je lui adressais. Mes chansons m’aident à supporter mes douleurs, à m’en libérer le temps de les faire et de les chanter ». Jacques, lui, dit ne jamais écouter ses chansons. « Ça me fout le cafard », dit-il. Il en fera même une chanson appelée « Le Cafard »… Pas simple.
« Voilà »
Quelques années plus tard, elle fera une rencontre qui lui permettra de se détacher un peu de lui. « Je lui en ai parlé et je l’ai vu souffrir et être désespéré », confiera-t-elle. « Faire souffrir l’autre était presque pire que l’inverse ». Le couple mythique rompra, mais seulement en façade. Elle l’aimera toujours. Lui aussi, mais mettra longtemps avant de le lui dire…
Avec lui, elle aura eu Thomas, l’autre amour de sa vie.
« C’est une chance exceptionnelle d’avoir deux êtres comme eux dans sa vie » confiera-t-elle.
Grande plume, grands compositeurs, grands créateurs
D’idole des jeunes, Hardy se muera en icône. Car elle ne cherche pas le succès, il vient aussi à lui. Discrète et souriante, elle se lie avec les plus grands compositeurs. L’auteure-compositrice-interprète couchera sur le papier sa poésie aussi pour des autres qu’elle. Citons les célébrissimes » Fais-moi une place » et » Mon ange « pour Julien Clerc, » Faire à nouveau connaissance « pour Diane Tell.
Mais c’est au travers les mélodies d’autres grands artistes qu’elle s’exprimera également. Au cours de ses 32 albums enregistrés en studios, on entendra le style de Michel Berger (« Message personnel »), Serge Gainsbourg (« Comment te dire adieu »), Michel Jonasz (« J’écoute de la musique saoule« ) , Louis Chédid (« Moi vouloir toi ») . Elle travaillera aussi avec Etienne Daho, Gabriel Yared, Benjamin Biolay, les Rita Mitsouko…
L’envoûtante chanteuse, qui inspira Bob Dylan qui lui chanta « I want you » et que Mick Jagger qualifiait de « femme idéale » dans un poème qui lui était destiné, était aussi iconique dans le domaine de la mode. Sa beauté diaphane, sa taille de guêpe et ses longues jambes inspireront Courrèges, Paco Rabane, Saint-Laurent. Elle est la première à porter les minijupes de Mary Quant.
Retour sur quelques tubes. Comment te dire adieu ? sera son grand succès de 1969. Derrière lui, Gainsbourg. Le titre, adaptation de la chanson anglo-saxonne It Hurts to Say Goodbye de la chanteuse Vera Lynn, est écrit par Gainsbourg avec toutes des rimes en – ex. Sur l’album figurera aussi le célèbre Anamour interprété par Hardy.
Message Personnel. La chanson sort dans les bacs en 1973. Ecrite par Hardy, qui, depuis est devenue productrice, elle est composée par Michel Berger. Selon la chanteuse, c’est sa chanson préférée. Enregistrée rapidement après la naissance de Thomas, Berger lui demandera d’écrire et de dire – et non pas chanter – le préambule. Une minute et demie où elle parle à quelqu’un, le vouvoyant au début, le tutoyant à la fin. La légende dit que Berger l’aurait écrite en pensant à Véronique Sanson, un an après leur séparation. Quoi qu’il en soit, cela colle pile-poil à la nostalgie et la solitude qui se dégagent de Françoise Hardy.
À partir de cet album éponyme, la Parisienne déléguera de plus en plus à d’autres les paroles de ses chansons.
« Message personnel »
L’astrologue
L’artiste symbolisait l’honnêteté. Une certaine pureté. « Françoise Hardy ne manipule personne. Elle en est incapable, tout simplement », pouvait-on lire dans la presse. L’auteure-compositrice-interprète avait d’autres passions que la chanson. D’abord attirée par la psychologie, elle s’était depuis le mitan des sixties, éprise d’astrologie. Un passe-temps dévorant qui la poussera même à écrire des livres à succès. Jusqu’à déclencher contre elle la colère d’Elisabeth Tessier.
Un demi-siècle de chanson
Fin des années 70, un nouveau souffle emporte sa carrière vers des touches plus disco, puis plus funk. Moyennement à l’aise sur ce genre de rythmiques, cela lui permettra néanmoins de renouveler son public ainsi que de proposer de nouveaux tubes. La « touche » Jonasz avec J’écoute de la musique saoule, Pierre Groscolas avec Tamalou.
« Musique saoule »
« Tirez pas sur l’ambulance »
Dans le courant des années 80, les cheveux sont à présent plus courts, elle continuera ses collaborations. Avec des chansons qui parleront d’elle. Et le ton mélancolique des années 60 de revenir en force. C’est bien moi, d’Alain Souchon ; Je suis de trop ici (Gainsbourg lui dira » Ça… je ne sais pas écrire ça « )… Cette dernière chanson, qui parle de souffrance de quelqu’un qui n’arrive pas à séduire, « une de ses plus belles chansons », confiera-t-elle à Match. Il y aura aussi Tabou, composée par Michel Fugain(où elle parle du début de sa relation avec Dutronc) ; Laisse-moi rêver, composée par Etienne Daho ; Moi vouloir toi par Louis Chédid.
En 1988 sort Partir quand même. Hardy dit que cela pourrait bien être son dernier album. Il connaît le succès, mais ce n’est que quelques années plus tard que, grâce à un Etienne Daho convaincant, elle reprendra le micro pour Le Danger en 96. Suivra Clair-obscur en 2000 (un album principalement de duos) et Tant de belles choses en 2004. Ces deux albums connaîtront le succès. Et l’artiste d’être élue « interprète de l’année » aux Victoires de la Musique en 2005.
« Puisque vous partez en voyage »
Pesante maladie
Françoise Hardy va beaucoup souffrir. Ses soucis de santé commencent vers le milieu des années 2000. On lui diagnostique un lymphome de MALT (qui engendrera des tumeurs). S’ensuivront près de vingt ans de turpitudes. En 2014-2015, son état devient critique. Son fils Thomas viendra dans les médias tenter de rassurer les fans. Entretemps, elle aura eu le temps d’enregistrer les albums La Pluie sans parapluie (2010) et L’amour fou trois ans plus tard. Sensibilité, romantisme et grâce sont toujours au rendez-vous. Après une période où sa santé s’est améliorée, Personne d’autre, son dernier et 28e album, sortira en 2018.
You’re my home (2018)
L’amour, toujours
En 2008, l’artiste avait sorti un livre de mémoires. Intitulé « Le désespoir des singes… et autres bagatelles », il sera un des grands succès d’édition de l’année. La chanteuse à la voix douce s’y confie et touche au cœur. Elle parle d’un nouvel homme dans sa vie, de Jacques avec qui l’amitié est maintenant si forte. Ils s’étaient mariés en 1981 dans ce petit bourg corse. Peu à peu, ils s’étaient séparés en douceur. « C’est magnifique d’être la meilleure amie de son mari », se réjouira-t-elle néanmoins.
Savoir aimer est très difficile. Une vie n’y suffit pas
En 2015, alors que la santé de Françoise traverse une grave période de turbulences, Jacques Dutronc est bouleversé. Il avoue à la personne qui vit avec lui que Françoise était la femme de sa vie. Le père de Thomas décide donc de lui faire plus facilement part de ses sentiments, expliquera-t-elle à Match en 2021. « Il est l’homme de ma vie et nous avons vécu ensemble nos plus belles années. Nous nous écrivons chaque jour et c’est merveilleux de nous envoyer, après plus de cinquante ans de relation, autant de signes d’attachement, de tendresse, d’inquiétude […] L’amour consiste à comprendre l’autre, à se comporter avec lui de façon digne et compréhensive, à accepter sa différence. Savoir aimer est très difficile. Une vie n’y suffit pas ». Jacques Dutronc, elle l’aura toujours aimé. Et lui aussi.
Les chansons les plus connues de Françoise Hardy sont depuis longtemps arrimées littéralement à bien des cœurs. Des airs qui nous appellent à l’introspection, à la méditation, à ouvrir son cœur. La chanteuse au visage mélancolique, silhouette élancée et classe inouïe, restera longtemps, par sa poésie, sa sensibilité, sa voix douce et son intelligence, dans de très nombreux esprits. Des chansons débordantes de profondeur, une icône intemporelle.
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